Cri d’une jeunesse désespérée

Hello tout le monde et bienvenue sur mon blog. J’espère que tout le monde se porte bien et j’espère que le mois de Mars a été assez fructueux pour vous. Aujourd’hui je vous propose quelque chose de différent. Dans cet article je ne prodiguerai pas de conseils de bien-être, mais je vous offre de préférence une sorte d’analyse. J’espère que vous allez l’apprécier.

Comme vous pouvez le constater à travers le titre, cet article est une pièce plutôt triste. En tant que jeune femme dans la catégorie des 19-25 ans, les dernières années en Haïti ont été une succession de luttes, d’anxiété, de peur et de stress constants. Quand j’ai lancé ce blog, l’un de mes cousins a suggéré d’écrire un article sur ce que c’est que de grandir dans une société comme la nôtre qui est en perpétuelle decrescendo. J’y ai pensé mais je n’ai jamais trouvé les mots justes. Aujourd’hui, je ne peux plus m’en tenir. Ceci est mon cri et le cri d’une jeunesse désespérée.

J’utilise ma voix pour parler au nom de beaucoup de jeunes de ma génération, spécialement ceux et celles qui, comme moi, ne peuvent pas s’imaginer vivre heureux et libres dans un autre pays. Après le tremblement de terre de 2010, certains ont eu la chance de quitter le pays et d’aménager ailleurs, et tout au long de mon parcours au secondaire, j’ai assisté au départ de plusieurs de mes amis qui ont dû quitter le pays de manière permanente. Certains étaient heureux de partir, d’autres dévastés à l’idée de se séparer de leur famille et leurs amis. À l’époque, je ne pouvais pas comprendre pourquoi les parents se précipitaient pour les sortir du pays, mais plus les années passent, plus je pense que ces jeunes devraient remercier leurs parents tous les jours.

J’assiste souvent à de nombreux débats sur les réseaux sociaux sur ce que c’est que de vivre dans ce pays. Parfois, les débats sont chauffés parce que la plupart des temps, les Haïtiens vivant dans la diaspora veulent partager leur opinion sur la question et ceux qui sont en Haïti ne le permettent pas. Pour être honnête, afin de bien comprendre tout ce que nous ressentons, toutes ces émotions vives qui nous animent , vous devez vraiment expérimenter cette vie.

Autrefois je pensais que ma génération est celle qui a le plus enduré, mais lorsque mes frères et cousins (générations années 80 – début 90) partagent tout ce qu’ils ont traversé, je me tais : Coup d’état, embargo, deuxième coup d’état, grève de la faim, tremblements de terre, multiples ouragans, plusieurs épisodes de peyi lok, meurtre du président et la liste se poursuit… Des chansons qui ont été écrits vers les années 90 et au début des années 2000 sur la situation du pays sont toujours d’actualité de nos jours. Cela signifie seulement que nous n’avons fait aucun progrès, nous n’avons rien fait pour améliorer notre situation et par nous-mêmes, moi aussi je suis inclue. Parfois, je me demande ce que nous avons fait pour être si maudit.

Regardez autour de vous, beaucoup d’entre nous font face à des problèmes mentaux. Malheureusement, la santé mentale n’est pas quelque chose dont on parle ni se soucie dans notre culture. Beaucoup d’influenceurs / comédiens font des vidéos sur la façon dont les parents haïtiens réagissent lorsque vous leur dites que vous êtes déprimé “Alèz ou twò alèz, Byen wi ou twò byen”, ce qui signifie tout simplement que vous êtes trop chanceux, c’est pourquoi vous êtes déprimé. Malheureusement, ces vidéos reflètent la réalité. Il faudrait trouver un trésor pour pouvoir se permettre des services de psychologie et d’accompagnement en Haïti. En conclusion, nous ne sommes pas bien et il n’y a rien que nous puissions faire à ce sujet. Personnellement, de nos jours, je suis souvent irritée et je me fâche pour un rien. Tout le monde me me dérange et parfois je claque pour des choses les plus insignifiantes. On dirait que personne ne comprend vraiment ce qui se passe. Nous avons tellement d’émotions refoulées à l’intérieur de nous, principalement la colère et le désespoir, qu’un petit coup de coude suffit pour exploser sur quelqu’un. Ce n’est rien de personnel!

Chacun gère ses problèmes mentaux différemment. Nous sommes tous stressés: adolescents, jeunes, adultes et aînés. Le climat politique a vraiment un impact assez virulent sur nous , que nous l’acceptions ou non. Un jour, un de mes oncles m’a dit: «Je vieillis et pour être honnête, j’espère mourir bientôt. Ce pays me tue et je n’ai plus d’espoir de voir des jours meilleurs. ” C’est dur à entendre mais il n’aurait pas pu mieux exprimer ce que nous ressentons tous.

En tant que jeune, à chaque fois qu’on essaye de penser à l’avenir, tout ce qu’on peut voir est un trou noir. Certains essayent de rester positifs et de parler de projets d’avenir, mais au fond, nous nous demandons tous “quel avenir?”. Parce que honnêtement, nous ne pouvons plus imaginer un. A chaque fois que nous pensons que les choses vont aller mieux, cela devient 100 fois pires. Il s’avère donc difficile de garder espoir.

Je me rappelle lorsque j’ai commencé avec l’université, un jour, un de mes professeurs regarda autour de lui et remarqua que la salle de classe était remplie. Il y avait au moins 60 étudiants présents et il a dit: «C’est bien que vous avez décidé de venir à l’université mais vous savez quoi? Il n’y a pas assez de travail pour vous tous sur le marché. ” J’étais vraiment en colère quand il a dit ça parce que j’avais l’impression qu’il était en train de détruire nos rêves. Même si c’était dur à accepter, il avait effectivement raison. Nous sommes nombreux à avoir un diplôme mais il n’y a pas d’opportunités. On dit souvent qu’il faut de l’expérience (3-5 ans minimum) pour décrocher un emploi, mais où trouver cette expérience lorsque personne n’est disposé à nous accorder une chance?

A la maternelle et au primaire , on demandait tout le temps qu’est-ce qu’on aimerait devenir lorsqu’on serait grand. On savait tous ce qu’on voulait. Certains ont effectivement réalisé ce rêve, d’autres, comme moi, ont emprunté un chemin différent. Nous avions tous souhaité une carrière incroyable, un bon boulot, une belle maison et une grande voiture, se marier, avoir des enfants, etc. Plus les jours passent, plus nous nous demandons si un jour nous aurons au moins la moitié de ce que nous avions souhaité et si oui, pourrions-nous vraiment en profiter.

Quand j’étais au secondaire , mes amies sortaient souvent. “Carnaval des Enfants” était un rendez-vous à ne pas rater. C’est là que tout le monde rencontrait tout le monde. Je n’y ai jamais participé. Les fêtes d’anniversaire de mes amies non plus. J’étais impatiente de grandir et de pouvoir sortir avec mes amies, de nous amuser et d’expérimenter de nouvelles choses. Maintenant que je suis assez mature, j’ai bouclé mon cursus et j’ai accompli tout ce que mes parents avaient souhaité pour moi, je suis coincée chez moi parce que ce n’est plus prudent de sortir. Imaginez !!!

Avant d’écrire cet article, j’ai posé cette question à certains amis et proches : “En tant que jeune vivant en Haïti, qu’est-ce qui vous frustre le plus?”. Je partagerai en-dessous certaines réponses que j’ai recueillies :

Il est vendredi soir et je suis obligé de rester coincé dans mon lit.

J’ai l’impression de végéter et ce n’est que le début de quelque chose de pire à venir.

Ne pas trouver un travail décent correspondant à mes études.

L’insécurité croissante et l’insalubrité des rues.

En tant qu’étudiante en médecine, je crois que nous pourrions faire beaucoup plus si seulement on nous offrait les outils dont nous avons besoin, mais personne ne s’inquiète de nous.

La situation du pays et ma mère. On dirait que ça l’arrange. Elle en profite pour m’interdire les sorties entre amis…. J’ai l’impression d’avoir vieilli sans rien accomplir.

Je déteste ne pas pouvoir me rendre dans les villes de province.

– J’aimerais faire tant de choses mais désormais rien est sous mon contrôle.

En tant que jeune, je me sens en retard à tous les niveaux.

J’en ai marre de recevoir des nouvelles de décès tragiques. Les jeunes meurent à un rythme que nous n’avons jamais vu auparavant. La plupart d’entre eux de mort subite, aucune histoire de problèmes médicaux. Je ne suis pas médecin mais je pense vraiment que le niveau de stress et d’anxiété qu’on vit en Haïti peut devenir si élevé que le cœur décide tout simplement de se laisser aller. Mon coeur est en peine, ma tête explose. Je suis fatiguée ! Nous sommes tous fatigués!

Peut-être que je ne suis pas la personne la mieux placée pour parler de ce sujet car il y a d’autres jeunes qui subissent pire que moi, mais au moins j’ai une plate-forme où je peux tenter d’exprimer leurs sentiments à leur place. En tant que jeune vivant à l’étranger, évitez de nous dire que nous devons nous empresser pour quitter le pays parce que même si c’est nôtre souhait à tous, en réalité nous ne pouvons pas tous partir. En tant que parent, si vous lisez mon article, prenez le temps de parler à vos enfants et d’essayer de comprendre ce qu’ils ressentent. Ne rejetez pas leurs sentiments, soyez compatissants parce que honnêtement, vous n’avez aucune idée de ce qu’ils traversent. Nombreux sont ceux qui, parmi vous, ont eu la chance d’avoir vécu à une époque où l’on pouvait dormir chez soi au centre-ville de Port au prince avec la porte d’entrée déverrouillée. De ce fait, la prochaine fois que vous voyez ou entendez un jeune se plaindre de sa situation et exprimer son désespoir, offrez lui tout simplement une oreille attentive parce que rien d’autre ne peut changer ce que nous ressentons.

C’est tout pour aujourd’hui. J’ai beaucoup plus de choses à exprimer mais j’ai l’impression d’avoir dit exactement l’essentiel. Merci d’avoir lu mon blog et en attendant la prochaine publication, restez en sécurité et soyez bénis.

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